Roman: Justice au bout du chemin
Roman de Doris Kneller: Justice au bout du chemin

Chapitre 1

 
      La voix rauque appartenait à une femme. À une femme aux lèvres souriantes. Lorsqu'elle aperçut le visage fatigué de l'inconnue qu'elle avait réveillée, le sourire gagna même ses yeux. « Prenez votre temps », rassura-t-elle la femme dans la tente. « Réveillez-vous doucement. Il fait beau. Vous êtes chez nous. Le soleil brille. Et venez à la maison prendre le café. »
       Puis, la voix s'éloigna. Mais après quelques pas, sa propriétaire se retourna encore une fois et, les yeux toujours souriants, elle expliqua : « Je m'appelle Artémis. Et vous ? La maison, c'est là-haut. » Son index pointa vers un endroit invisible pour la femme dans la tente. Et sans attendre la réponse, elle ajouta : « Je m'en vais faire du café » et s'en alla.
       « Et moi ? », murmura la femme dans la tente. « Moi, je m'appelle pas. Je suis juste... Je suis moi. » - « Et qui êtes-vous, Madame moi ? », lui avait demandé l'homme, il y a longtemps. Avant de...
       La femme secoua la tête. C'était l'heure de se réveiller, de plier la tente et de partir. Sa mission était accomplie, elle n'avait plus rien à faire ici. Ni ailleurs. Mais elle en avait l'habitude.

Chapitre 3

 
      L'homme courait si vite qu'il faillit se heurter à la femme. Il sauta brusquement d'un rocher et se trouva nez à nez avec elle.
       « Euh, bonjour », rigola-t-il, « houlà, on a frôlé l'accident. Je suis désolé. » Et, comme la femme ne réagit pas immédiatement, il ajouta : « Je vous ai pas fait mal, j'espère ? Je m'appelle Fabrice. Et vous ? Vous êtes nouvelle dans le coin ? » Il lui tendit la main.
       Malgré elle, la femme sourit. Elle aurait préféré rester seule, mais ce jeune lui plaisait. Il avait quelque chose de spontané, de naturel. « Oui, je suis nouvelle dans le coin. Enchantée de vous rencontrer, Fabrice. Je connais encore personne ici, enfin, presque personne. »
       « Vous connaissez déjà notre Artémis, c'est le plus important. » Il sourit comme un petit garçon. « Elle m'a parlé de vous, ce matin », ajouta-t-il lorsqu'il vit la mine étonnée de la femme. « Je travaille chez Monsieur Brisu. Je suis son...  », il hésita, puis poursuivit, toujours avec un sourire dans ses yeux foncés, « ...son homme à tout faire. Son valet. Mais », il se mit à rire, non d'un rire malicieux, plutôt d'un rire entièrement heureux, « bientôt, il fera de moi son héritier. Il a personne d'autre. Et il pourra plus se passer de moi. »

Chapitre 7

 
      « Et puis, ma chère enfant, et puis, j'étais comme tout le monde. Frustré, déçu, tout ce que vous voulez. Et avant que vous me posiez la question : eh bien non, je n'ai pas protesté. Je l'ai laissé faire. Comme tout le monde le laisse faire. »
       « Je comprends que vous parlez de Monsieur Brisu ? »
       Cette fois-ci, le bâton ne glissa pas de ses mains. Soudain furieux, l'homme le jeta contre le tronc de l'arbre où le merle avait repris sa chanson. Le même oiseau qu'au début de leur conversation ou un autre, la femme ne savait pas faire la différence.
       « Oui, Madame, je parle de Monsieur Brisu. À Laferrada, il n'y a personne d'autre. Enfin, personne d'autre... » Comme si la petite explosion de colère était tout ce qu'il pouvait encore produire, il fléchit son buste en avant, ses yeux fixant le sol. Sa voix était calme. « Comme au maire avant moi, il m'a volé le pouvoir dès le premier jour. Enfin, presque au premier jour. Il m'a fait comprendre qui était le maître du village. »

Chapitre 9

 
      Brisu leva le bras. Pendant un moment, l'ouvrier pensa qu'il voulait le frapper, mais son poing atterrit sur le pneu du bulldozer. « Je-t'ai-dit-de-le-mettre-en-marche », scanda-t-il. Puis il fit un saut dans l'air. « Qu'est-ce que tu attends, idiot ? Fais ce que j'te dis. Sinon... sinon... sinon j'appelle les gendarmes pour qu'ils te ramènent à la frontière. Tout de suite et oust. Terminé la belle vie. Vaurien ! Paresseux ! »
       Entendant ses mots, l'ouvrier sursauta. On pouvait lire la peur dans ses yeux. Brisu avait visé juste. Décidé, l'homme s'approcha de la machine, leva la main pour ouvrir la porte... et recula. Son regard se tourna vers les Allemands. Puis, il secoua la tête.
       « Faites qu'ils se lèvent, patron », dit-il doucement. « Après, je vous fais vot' piste. Pas de problème. Pas de problème. » Il se retourna et s'assit sur la marche qui menait au siège du conducteur de l'engin. « Pas de problème, pas de... »

Chapitre 12

 
      Le gendarme secoua la tête. « Monsieur », dit-il, ignorant Pam, « ce n'est pas à vous de m'apprendre mon métier. »
       « Je suis absolument de votre avis, » répondit Wolf, toujours doucement. « Vous connaissez très bien votre métier, j'en suis persuadé, beaucoup mieux que moi. Mais c'est cela le problème : les articles de la loi font partie de votre métier, vous les connaissez donc très bien, il n'y a aucun doute. Je me demande juste... pourquoi, donc, ne les appliquez-vous pas ? »
       Pendant un moment, le gendarme ne sut que riposter. Le contenu de la phrase que Wolf venait de prononcer était, dans ses yeux, carrément insolent. Toutefois, l'Allemand avait parlé avec une telle douceur innocente...
       « Êtes-vous conscient de ce que vous venez de dire ? » demanda-t-il finalement, haussant le ton. « Voulez-vous insinuer que, sciemment, j'agirais contre la loi ? »

Chapitre 18

 
      Le camion était garé au même endroit que la dernière fois. Cette fois encore, Wolf ne put voir que les jambes de l'homme qui en sortit, mais il crut reconnaître le pantalon et, surtout, la démarche ondulante, peu habituelle pour un homme. Pendant un moment, les jambes s'agitèrent autour de la voiture, puis elles s'immobilisèrent. Une petite lueur apparut brièvement dans l'obscurité. Wolf comprit que l'homme avait allumé une cigarette. Négligeant l'avertissement de Chevalier de ne pas faire le moindre bruit, il commença doucement à siffler.
       Tout à coup, la piste s'anima. Des projecteurs cachés à droite et à gauche du chemin la plongèrent dans une lumière éclatante. Le fumeur poussa un cri, tentant de se réfugier dans le camion. Mais plusieurs hommes se jetèrent sur lui et le maitrisèrent.
       De là où il était, Wolf ne pouvait voir qu'un tas de jambes courant toutes dans la même direction pour, enfin, s'immobiliser autour d'une cible invisible pour l'observateur. « Il l'ont pris », se réjouit-il. « Mais ils auraient dû attendre Chevalier. »