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« N'oublie jamais, ma fille, que la paix est plus précieuse que toutes les causes du monde. »

Roman: Née après
 
 

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Extraits du roman « Née après »

 
 

Chapitre 7

 
 
      « Promets-moi quelque chose, ma petite Jana. »
       Perplexe, je me suis arrêtée. Si papa ne se dépêchait pas, on allait rater le tram. Toutefois, il est resté debout, au milieu du quai, sans s'approcher d'une des portes.
       « Promets-moi quelque-chose », a-t-il répété comme s'il avait peur que je ne l'aie pas entendu.
       Les portes ont commencé à se fermer, le tram allait partir.
       « J'aimerais que tu t'engages toujours pour la paix. Peu importe la cause. Toujours. Même si tu risques de perdre quelque chose qui t'est cher. N'oublie jamais, je t'en supplie, ma fille, que la paix est plus précieuse que toutes les causes du monde. »
Chapitre 5
      Il y avait juste une période de sa vie dont il ne m'a jamais parlé : les camps. Parfois, j'ai pensé qu'il les avait oubliés. Mais un jour, j'ai compris que c'était le contraire - il ne les mentionnait pas pour, justement, les oublier. Probablement, il n'a jamais réussi.
       Tout ce que j'ai pu apprendre sur ce sujet, c'était l'histoire de sa libération. La « fin », comme on disait à l'époque, la fin de la guerre, de l'horreur, de la peur, de la honte, de la persécution des juifs. La fin d'une ère. D'une ère qui s'est terminée du jour au lendemain, juste par une déclaration. La déclaration a été couchée sur une multitude de feuilles de papier. Mais elle n'a jamais atteint les esprits. Pas même des dizaines d'années plus tard. Pas même ceux qui sont nés après.
 
 
 
 
Chapitre 6
      « Toi aussi tu t'es toujours sentie exclue », a-t-elle remarqué d'une voix très basse pendant que nous entrechoquions nos verres pour trinquer.
       J'ai hoché la tête.
      « Et aujourd'hui ? As-tu toujours ce sentiment ? »
       Faisant semblant de ne pas avoir entendu la question, j'ai joué avec mon verre. Maya s'est allumé une autre cigarette pour, ensuite, pousser le paquet vers moi. Je me suis servie, toujours silencieuse.
       « Oui », ai-je finalement dit. « Oui. Dans un certain sens. Quand on prend l'habitude d'être exclu, ça ne change plus. »
       « Mais tu as des amis, un homme qui t'aime, une profession... Tu t'es créé une vie. Un chez-toi. »
       Doucement, j'ai secoué la tête. « Non, je crois pas. Je veux dire, oui, je me suis créé une vie. Mais pas un chez-moi. Je n'en aurai jamais. Je serai de passage, toujours. Comme à la maternelle où je ne faisais partie de rien. Ou à l'école. 'Chez-moi', c'est forcément un endroit dont je fais partie, mais je fais partie de nulle part. J'en ai pris l'habitude. Une habitude qui ne se perd pas. »
 
 
 
 
Chapitre 4
      « Mais pourquoi ? » répéta la fille. « Pourquoi t'as pas un siège devant, où on peut voir les hommes prier ? »
       Effectivement, du rang où les deux étaient assises, on ne voyait rien de la synagogue. Une partie de la vue s'arrêtait à la colonne, l'autre partie était bouchée par les têtes des femmes qui bavardaient dans le corridor.
       « Les sièges en bas, c'est pour les plus riches. Nous n'avons pas assez d'argent pour nous payer une place aussi chère. »
       « Il faut payer pour avoir une place ? » s'étonna Jana.
       « Oui », répondit Brunhilde sèchement. « Rien n'est gratuit dans la vie, même pas le droit de prier dans la synagogue. »
 
 
 
 
Chapitre 6
      « Tout le monde est capable de tuer, s'il atteint un certain seuil. Toutefois, chacun a son propre seuil. Chez certains, il est très bas, chez d'autres, extrêmement élevé. Où se situe votre seuil, Monsieur le Procureur ? »
       Cette fois, ce fut le juge qui se mêla de la conversation. D'une mine sérieuse, même un peu crispée, pour que personne ne remarque son amusement, il se pencha en avant et proclama : « Mademoiselle, ce n'est pas votre rôle d'interroger le procureur, mais de répondre à ses questions. »
       La salle éclata de rire.
 
 
 
 
Chapitre 7
      « Il est vrai que les juifs ont souffert. Mais ça veut dire qu'ils savent ce que ça signifie, la souffrance. Et de nos jours, au lieu de faire souffrir les autres, on devrait se rappeler... se rappeler la douleur d'avoir été persécuté et chassé de l'endroit où on se sent chez soi. »
       Jamais je n'avais entendu parler mon père de telle manière. Ses mots se sont littéralement bousculés, comme s'ils étaient pressés de quitter sa bouche. Lui qui, normalement, parlait toujours lentement, réfléchissant à chaque mot avant de le prononcer.
       « Dans les années 40, quand des juifs ont atterri dans le pays qui est devenu Israël, ils ont été bien accueillis par les gens qui y habitaient. Les juifs ne savaient pas comment survivre dans le désert, mais ils ont été aidés par leurs hôtes. Ils ont montré que Palestiniens et juifs pouvaient vivre tranquillement, sur les mêmes terres. »
       J'ai hoché la tête. « Oui, c'est ce que j'ai lu. Que le pays serait assez grand pour tout le monde. Mais... »
Chapitre 11
      J'ai senti un sourire heureux envahir mon visage. « Imaginez un peu, des juifs, des chrétiens, des musulmans, des hindous, tout le monde célébrant la fête des lumières ensemble. Chacun peut donner la raison qu'il veut, la naissance d'un dieu, un miracle, l'offrande à l'hiver, envie d'un festin, envie de chanter... Le principal est qu'on soit bien ensemble. »
 
 
 
 
Chapitre 12
      « Vous êtes si jeunes. Si jeunes et bêtes. Je ne dis pas ça pour toi, Jana. Tu viens d'une famille où la souffrance est imprégnée dans les gênes. Sache que je n'ai jamais fait partie de ceux qui ont fait souffrir les juifs. Oui, tu peux essayer de le nier, mais ça ne t'aide pas à avancer. Si tu veux avancer, avoue qui tu es. Avoue-le à toi-même. Tu es différente. Tous les juifs sont différents. »
       Sa voix était devenue criarde. Elle a soupiré, puis s'est calmée un peu.
       « Ce n'est pas ta faute. Tu es née comme ça. Mais malgré tout, tu peux devenir quelqu'un de bien. Quelqu'un qui aura du succès. Tu as du talent. Les juifs sont intelligents, c'est ce que notre Führer n'avait pas compris. »
 
 
 
 
Épilogue
      La haine. Jana se secoua. Tous les Allemands étaient donc des monstres ? Les textes étaient assez clairs, mais ils évoquaient une foule de questions. Pour répondre à ces questions, des employés du mémorial se tenaient prêts dans tous les coins. Ils parlaient tous anglais et avaient pour seule tâche d'informer les visiteurs.
       Jana avait envie de demander. Tout ce qu'elle voulait savoir depuis longtemps, et toutes les questions nouvelles, suscitées par ce qu'elle voyait dans les vitrines. Mais soudain, elle n'osa pas ouvrir la bouche. Elle savait que son anglais était suffisant pour soutenir toute sorte de conversation, il n'y avait aucun problème. Mais elle craignait son accent. L'accent qui, pour une oreille exercée, pourrait la qualifier d'Allemande. Comme un de ces monstres.
       Pour la première et, probablement, pour la dernière fois de sa vie, elle se sentait allemande. Elle se sentait mal, mais allemande. Une sorte de solidarité avec les gens qui l'avaient entourée pendant toute son enfance l'envahit.